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  • Premières Camille Vernet

"Les Podcasts de Marius", ou créer l'angoisse

Dernière mise à jour : 2 mai 2019

par Albane V. - 1ère L3

 


Bande-annonce (spécialement concoctée pour vous)


Par un beau jour, sans raison particulière, mon fil d’actualité YouTube me propose un podcast vidéo d’un certain Marius. En titre : “La Pâte à prout”. Drôle de sujet. Je clique, aride. Un premier prout, risible. Puis on sonne à sa porte. Ah ? Il va ouvrir, visiblement pas très rassuré de ce qu’il y a en face de lui… ET BIM ! Une balle dans la tête. Marius au sol, inerte. La caméra est toujours là, impassible, immobile. Comment en est-on arrivé là ?


 

C’est cela, l’effet corrosif du collectif audiovisuel ET BIM qui se propage sur la toile, dupant et happant tous ceux qui le touchent. Par le slogan “Tirer l’humanité vers le haut” (rien que ça !), ils édifient un humour intelligent qui fait réfléchir. À travers Les Podcasts de Marius, le réalisateur Ambroise Carminati (interprétant le fameux podcasteur) se moque de cette tendance au divertissement passif, tout en la parodiant.


Dans une de leurs vidéos, Ambroise Carminati explique que l’origine du concept s’est présentée lors d’un concert. Disposés sur scène, des écrans projetaient une ville numérisée, explorée et survolée à toute allure. Alors plongé dans une déambulation effrénée, son imagination s'emporte : que se passerait-il si la foule défilait éternellement dans cette ville ? Cette pensée irrationnelle l’a amené à mêler deux idées fortes qui le traversaient. D’abord, son incompréhension face aux podcasts humoristiques puis l’angoisse qui, selon le vidéaste est « quelque chose qui nous anime tous » et qui peut parfois être un « moteur ». C'est donc l'opposition d’un format maîtrisé qui finalement n’est plus contrôlable. Le duo antipodique, comique et drame, s’unit dans l’ombre du protagoniste.


Marius, l’archétype du podcasteur, identifie et remarque – seul devant sa caméra – un fait de la vie quotidienne prétendu drôle. Il poste sa vidéo sur Internet et « ça cartonne » (N.B : les vidéastes du web connus aujourd’hui étaient initialement podcasteurs). Les Podcasts de Marius fonctionnent donc sur un principe indéfectible : Marius amuse jusqu’à ce qu’une rupture vienne interrompre sa comédie. C’est le spectateur qui vient à ces « vidéos de remplissage » pour se distraire, un « mode veille » où la réflexion est abolie. La facilité aux contenus succincts se voulant dynamiques (mais quasiment épileptiques), le réalisateur nomme cela « l’hypermontage » ; c’est privilégier l’efficacité oculaire plutôt que mentale.


Cependant, notre podcasteur préféré a un souci : ses podcasts tournent toujours mal. Il est à chaque fois enfermé dans sa propre vidéo où tout lui échappe. L’angoisse s’installe progressivement. Mais qui est-elle et d’où vient-elle ?


Par définition, l’angoisse est spontanée, totalement irrationnelle et incontrôlable. Pourtant, il s’agit d’un sentiment existentiel propre à chacun : c’est plus grand que l'humain et parfois fantastique. Au cinéma, l’émotion est toujours liée à la technique. L’immersion progressif dans l'angoisse se crée donc grâce à différents procédés.

Avant tout, la réalisation a son importance. Les valeurs de plans comme pour l’accompagnement musical sont choisis précautionneusement, le tout constitue des indices sur le changement de ton. Ainsi, la courte focale pour le podcast, reconnue à ses angles déformés (utilisée aussi pour souligner l’inquiétant car elle déforme le visage), s’absente. La focale longue prend place car elle rend les plans plus cinématographiques et travaillés. À partir de là, il n’y a plus de retour en arrière au comique.

Ensuite, contre toute attente, le changement brusque de genre déclenche la réflexion par son effet de surprise. L’interpellation du spectateur, recette favorite des créations ET BIM (remarquable dans La Première Fois), le déstabilise afin de le captiver. Les sujets superficiels promis par le podcast se transforment en thématiques sensibles, allant de la politique dans Le Covoiturage jusqu’au suicide dans Draguer une fille. Un processus extrêmement percutant pour faire passer un message engagé.


Les ruptures peuvent être sonores, rythmiques ou bien visuelles. Leur dénominateur commun est qu’elles font évoluer l’action vers l’angoisse. L’intervention de personnages comme le mentor (Bastien Ughetto dans La Piscine) confirme à Marius que son angoisse est réelle. Puisque la situation déconcertante ne s'arrête pas, Marius doute et l'angoisse monte, en plus des indices qui l’alimentent petit à petit. Bien qu’il soit témoin oculaire, le spectateur est au même niveau que Marius, car il subit lui aussi le passage à l’angoisse.

Prenons pour exemple le premier épisode La Pâte à prout : l’esthétique du found footage – ou de la caméra de Marius qui n'a jamais cessé d'enregistrer – donne l’impression de réel. Elle révèle la prouesse d’un plan séquence qui est le vecteur du voyeurisme. Le malaise est généré par la difficulté à regarder la scène (comme une agression sexuelle dans Le Bac philo). Le spectateur est victime de ce qu'il regarde et assiste impuissant à la scène. Le statisme du plan renforce le côté insoutenable de la scène pour les yeux.


Toutefois, Marius est un personnage immortel, il reviendra toujours à la manière d’un personnage de cartoon. Il évolue autant que ses podcasts, devenant plus réfléchis et plus tordus. Les dispositifs narratifs se prêtent au jeu de l’angoisse, comme avec l’approche fantastique par l'invisibilité dans Draguer une fille. La personnalité de Marius s’affirme au fil du temps et, c’est lorsqu’il s’essaie au vlog pendant le Festival de Cannes (gros scoop : il sort de sa chambre !) qu’il prend ses libertés, muni d’une arrogance inédite.

Au final, Marius, c’est la proie d'Internet ; il produit des formats temporairement en vogue, jusqu’à une popularité espérée par de triviaux chiffres (clin d’œil à sa notoriété grandissante dans Le Covoiturage). Il investit dans ce qui marche par désœuvrement et se réinvente ainsi continuellement.


Néanmoins, une question reste à se poser : Marius peut-il prendre conscience que sa vidéo (et sa vie) vont déraper lorsqu’il doute ? Il serait donc contraint de vivre avec sa peur définitivement ? Voilà réflexion faite et envisageable pour les podcasts à venir.

Une chose est sûre : le collectif a envie de continuer à explorer ce format (tout à fait réussi) autant dans le fond que dans la forme... À suivre !


 

P.S : Tous les propos tenus entre guillemets proviennent du réalisateur dans la série de vidéos "Insides", disponibles sur leur chaîne YouTube. Il y explique la fabrication et la conception des créations originales du collectif et ça fait vachement réfléchir !

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